« Y'est où Maman ? » Petit être perdu. Tu n'as même pas encore pleurer. Ou si peu. Tu as eu un peu peur, quand ce policier si imposant est venu te tirer du lit. Tu as crier le nom de ta nourrice. Tu l'as appeler, encore et encore, la suppliant du regard pour qu'elle vienne te reprendre. Tu n'as pas compris. Tu t'es endormi, entre deux. Petit bonhomme de quatre ans, à peine. Ce sont maintenant des visages familiers, plus amicaux et pourtant, si démonté qui se penche sur toi. Tu connais Mamie. Un peu. Et tu connais Papy. Un peu. Pas comme si tu venais ici, dans leur grande maison qui sent bon la campagne tous les week-end non, mais tu les connais. Tu sais que tu peux avoir confiance … et pourtant, même si tu es haut comme trois pommes, tu peux sentir un malaise.
« Tout ira, mon chéri. Tu veux de la tarte au pommes ? » On change de sujet. Bien sur, qu'on change de sujet. Comment fait-on pour annoncer à un si petit garçon, que ses parents ont été sauvagement assassinés en fin de soirée par une bande de sauvages obsédés par l'or et les diamants ?
« Y'est où Papa ? » Toi, tu sembles ne pas vouloir t'éloigner de ce qui te préoccupes. Petit oui. Idiot, non. Et c'est pas une tarte au pomme qui te fera oublier.
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« Mais enfin, Jonah. Comment fais t-on dis moi pour avoir zéro en Anglais, deux en Maths et un en histoire ? Sur tout un trimestre ! » Tu grignotes ton pain. Tu fixes ton assiette de soupe. Un vendredi soir typique, ici. Pas que tu aimes la soupe plus que ça, mais tu y es habitué. Tout comme tu es habitué aux remarques de Papy à chaque fois que le facteur à l'idée magique d'amener ton bulletin scolaire. Comment tu fais … c'est une bonne question ça. Suffit de rien écouter. De ne faire aucun effort. De dessiner sur ta copie en contrôle, de faire exprès de faire une faute à ton prénom en oubliant le « H » rien que pour la provoc' et de ne rendre aucun devoir. Oui, sauf que tu ne peux pas dire ça à ton grand-père. Parce qu'il est adorable, ton Papy Maurice … mais faut pas pousser le bouchon trop loin. Parce que quand il s'énerve … bah il s'énerve. Bon, ok. En vrai, il n'est absolument pas effrayant. Il crie fort, oui. Et il menace beaucoup, mais ça s'arrête là. Il n'empêche que tu sais pas pourquoi, mais tu n'aimes pas trop le chercher. Il est armé quand même, il à une canne.
« Je sais pas trop Papy ... » Un soupire, suivi d'un second. Y'a Mamie aussi. Plus douce que Papy, mais elle aussi armée d'une canne qu'elle ne manque pas de te mettre sous le nez quand nécessaire. Ils ont pas de chances tes grand-parents … ils ont un petit-fils qui ne fera sans doute jamais rien de bien de sa fichue vie.
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« Mais enfin … dans le monde actuel, tu n'y penses pas tout de même ... » Tiens. Tu t'y attendais. Le fait est que c'est comme ça. Dix-huit ans. Les études, l'école, tu n'en peux plus. Tu as l'impression d'y perdre ton temps, pas qu'on y apprends rien .. non ce n'est pas tellement ça, en réalité, c'est plus que tu ne parviens pas à te motiver suffisamment pour faire les efforts nécessaires. Tu n'aimes pas ça. Tu as un grave problème avec l'autorité aussi, tu ne supportes pas que ces gens – ces profs – que tu ne connais pas finalement, se permettent de te dicter ta façon de te conduire. Et puis, tous ces discours pompeux. Ces cours, qui n'en finissent plus. Ces devoirs, tellement épuisant à faire. Ce système entier te débectes.
« Je vais bosser, Mamie. Je vais pas rester à rien faire, je te promet. » Bosser, oui. Voilà quelque chose qui t'attire davantage. Faire des efforts, tu n'as rien contre. Te fatiguer, donner du tien non plus … seulement, oui, il faut que ça te rapporte quelque chose alors tu sais bien au fond de toi que travailler, trouver un job pour gagner ta vie te conviendras mieux que passer tes journées assis dans une salle de classe.
« Ce n'est pas le problème Jonah mais ... » Tu ne t'attendais pas à ce que ce soit simple, d'annoncer ça à tes grand-parents. Tu les comprends, au fond. Ils s'inquiètent.
« Martha … je pense, qu'on peut lui laisser une chance. » Ca, par contre, c'est surprenant. Voilà que Papy, semble de ton avis.
« C'est vrai quoi, quels études avons-nous fait ? J'étais comme lui, avant. J'aimais pas ça, l'école. J'ai bosser très jeune et ça n'a pas ruiner ma vie. » Tu n'oses rien ajouter, du moins pour le moment. En réalité, tu les observes, à tour de rôle. Tu sens bien que leur décision finale ne va pas tarder à tomber.
« On va faire une chose, mon grand. Trouves toi un job, par tes propres moyens. Si tu y arrives, tant mieux. Sinon, l'an prochain, tu retournes aux études. »~♣~
Il fait nuit, déjà et la porte se ferme à peine. Tu entends un
« Bonne nuit Jonah », qui vient de l'intérieur. Tu es si fatigué. La journée à été longue, mais tu ne t'en plaindras pas. Tu bosses ici depuis pas mal d'années, maintenant. Tu ne les comptes plus. Tu viens, tu installes tes rayons, tu fais du tri, tu ranges, nettoies parfois … en réalité, tu es un peu multi-tâche, mais la paye à la fin du mois et toujours la bienvenue. Ce n'est pas le meilleur des boulots, mais pour quelqu'un comme toi, qui n'a pas pris la peine de finir ses études, ou même d'en entreprendre réellement, c'est pas mal. Ça te permet de vivre. Ça t'a permis de financer les travaux de la grange abandonnée de chez tes grand-parents pour t'y faire un joli studio. Tu es plutôt autonome, en réalité aujourd'hui … même si tu dépends encore pas mal de ta famille. Surtout pour la bouffe. Tu prends une grande inspiration, tu fais craquer ton dos, tu prends le chemin de ta voiture. Le vieux pick-up de la famille.
« Hé toi. » Une voix rocailleuse, un peu caverneuse que tu ne connais pas. Tu n'y prêtes donc pas attention.
« Hé, c'est à toi que je cause blondinet ! » Un ricanement, et puis une seconde voix. Tu ne comprends pas ce qu'il dit, celui là. Mais tu te retournes, tu regardes autour de toi. Tiens. C'est à toi qu'ils parlent, ces deux gars.
« Ouais ? » Les voilà qui s'approchent. Lentement.
« T'auras pas de quoi fumer, dis moi ? » Si ce n'est que ça.
« Non, désolé, je fume pas. » Tu affiches une mine pas franchement désolée.
« Ah. Bah t'aurais pas un peu de fric à nous dépanner ? » … du fric. Comme si tu allais t'amuser à offrir ton fric au premier homme de cro-magnon qui passe. Et puis. T'as rien. Absolument rien sur toi.
« J'ai rien. Désolé. Bonne soirée. » Et tout aurait pu s'arrêter là. Tu aurais pu prendre ta voiture, rentrer chez toi et profiter de la soupe de Mamie. Seulement, tu as à peine le temps de faire deux pas, que tu sens une main sur ton épaule. Tu te sens tiré en arrière, jeté au sol puis entraîné avant d'être balancé contre un mur. Déjà tu as mal, tu tentes de te relever … mais les coups commencent à pleuvoir. Au début, tu souffres. Tes côtes, tes muscles, ton ventre, ton dos, ton visage … tu sens tes os se briser, tes organes éclater, et puis … plus rien. Tu sombres. Les ténèbres. Le vide.
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Lorsque tu ouvres les yeux, tu n'es que douleur. Tu n'es qu'une plaie béante, un hématome géant … mais tu es vivant. La première chose que tu vois, c'est Mamie penchée sur ton lit. Des jours que tu dors, des jours qu'elle veille, inquiète, en larmes à attendre que tu ouvres les yeux pour leur signifier que oui, tu es en vie et que tu vas le rester. Tu as eu de la chance, selon tes médecins. Des côtés brisées. Des organes abîmes. Des os en miettes. Des plaies ouvertes. Ils se sont acharnés … pour quelques billets que tu n'avais même pas. Si au début, tu n'y penses pas les choses finissent pas changer. La douleur, les médicaments, tes difficultés à bouger, la rééducation, ce sentiment d'être totalement dépendant des autres, tout cela ne tarde pas à attiser le feu de ta colère. Tu boues de l'intérieur. Tu ne peux pas t'empêcher de maudire ces deux hommes, de maudire la police qui ne parvient pas à leur mettre la main dessus, de te maudire toi, d'avoir oublier leurs visages et de ne pouvoir offrir qu'une description sommaire. Tu as l'impression d'être tombé droit en enfer. D'y être seul et enchaîné comme un chien.
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Un groupe de soutien … c'était la solution de tes médecins. Deux choix. Un psy ou un groupe. Et à choisir, le groupe te paraissait être une solution moins significative. Tu avais une idée toute faite sur les psy, c'était pour les fous, les cinglés, et toi tu ne l'étais pas. Dans ce groupe, on avait su – du moins c'est ce qui se disait – t'apporter quelques réponses. Pourquoi tant de colère ? Pourquoi cette tendance soudaine à te battre dés que l'occasion se présentait ? Pourquoi tant de violence, toi qui n'avait pourtant jamais été ainsi ? Simplement parce que tu revivais sans cesse ton agression. En un sens, tu t'en voulais de ne pas avoir réagis. T'es un homme bon sang, Jonah ! Pourquoi ne pas avoir réagis ?! Des réponses oui. Puis quelques solutions. Si peu efficaces. Un moyen de te défouler, pour commencer. Le Kick-Boxing. Ça ne t'avais pourtant pas empêcher de continuer à t'attirer des ennuis. Les groupes de soutien oui … c'est d'ailleurs là, que tu l'as rencontrée. Elle. Saskia. Ce petit bout de femme. Celle en qui tu peux voir tant de choses. Elle avait débarquée, deux jours après son agression. Blessée, écorchée à vif et pourtant sans aucune égratignure ou presque. Elle était comme toi, sans doute pour ça que tu avais ressenti l'envie, presque le besoin de l'aider, de la guider. Toi qui un jour, avait été à sa place.
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Tu poses ton steak surgelé sur ton œil. Ça fait un mal de chien. Tu as simplement l'impression que ta tête va éclater. Soirée pourrie. Tout avait mal commencé, tout s'était mal terminé. Alcool, bagarre, tu avais même envoyer bouler la pauvre Saskia par téléphone … Saskia. Tu t'en voulais. Oui. Mais dans un sens, tu ne regrettais pas tant que ça tes tentatives pour l'éloignée. Tu l'aimais bien. Tu passais du temps avec elle. Et ça, ce n'était pas bon pour elle. Tu en était persuadé. Ça cogne. Mais ce n'est pas ta tête. On tape à la porte, alors tu balances le morceau de viande dans l'évier, tu vas ouvrir. C'est elle. Elle est venue. Malgré tout. Et voilà qu'elle entre, qu'elle s'intéresse, qu'elle pose des questions. Tu es blessé. Elle veut s'en occuper, tu ne trouves pas la force de refuser, et tu la laisses désinfecter cette lèvre, avant de poser la question. Celle qui te brûle les lèvres, plus que cette blessure. Pourquoi ? Sa réponse te fait sourire et sans même savoir pourquoi, sans même te comprendre toi-même à ce moment, tu ne peux t'empêcher de l'attirer contre toi, de l'embrasser. Ce n'est qu'un baiser chaste, au début, puis … tu deviens comme fou. Sentir ses lèvres collés contre les tiennes. Ses bras autour de ton cou … ça te rend dingue. Alors tu l'attires plus près, toujours plus près … […] Le lendemain. Tu t'en voudras déjà. Lorsque tu ouvres les yeux, ton lit est vide. Elle n'est plus là. Sans doute regrettes t-elle déjà. Pas étonnant. Suffit de te regarder, Jonah. T'es qu'un foutu dépressif aux problèmes psychologiques. T'es violent … pas avec les femmes, bien sur. Mais qu'est-ce qui lui garantit que tu n'es pas dangereux ? Tu es un danger. Un poison. Elle a raison de te fuir. Tu ne veux pas être celui qui la fera souffrir davantage. Tu te lèves alors. Oh, surprise. Elle est toujours là. Elle récupère ses affaires. Tu l'as surprise en pleine fuite. Elle te sort ce que tu identifies comme un mensonge et lorsqu'elle aborde le sujet de cette nuit, tu prends les devants. Comme pour éviter de souffrir trop en entendant ses paroles.
« Je sais, c'était une erreur. » Elle confirme, d'ailleurs. Avant de sortir de chez toi. Une erreur hein … une erreur que pourtant tu ne regrettes pas.